Daguerre (1787-1851) et l’invention de la photographie

Le 7 janvier 1839, les membres de l’Académie des sciences française découvrent les produits d’une invention qui va changer à jamais la nature de la représentation visuelle : la photographie. Les images d’une précision étonnante qu’ils voient sont l’œuvre de Louis-Jacques-Mandé Daguerre (1787-1851), peintre et graveur romantique, surtout connu jusqu’alors comme propriétaire du Diorama, un spectacle parisien populaire mettant en scène des peintures théâtrales et des effets de lumière. Chaque daguerréotype (surnom donné par Daguerre à son invention) était une image unique sur une feuille de cuivre argentée et polie.

L’invention de Daguerre n’a pas vu le jour à l’état adulte, même si en 1839, on aurait pu le croire. En fait, Daguerre cherchait depuis le milieu des années 1820 un moyen de capturer les images fugaces qu’il voyait dans sa camera obscura, une aide au dessinateur consistant en une boîte en bois avec une lentille à une extrémité qui projetait une image sur une feuille de verre dépoli à l’autre. En 1829, il s’est associé à Nicéphore Niépce, qui travaillait sur le même problème – comment faire une image permanente en utilisant la lumière et la chimie – et qui avait obtenu des résultats primitifs mais réels dès 1826. À la mort de Niépce en 1833, les partenaires n’avaient toujours pas trouvé de procédé pratique et fiable.

Ce n’est qu’en 1838 que les expériences de Daguerre progressent à un point tel qu’il se sent à l’aise pour montrer des exemples du nouveau support à des artistes et des scientifiques sélectionnés dans l’espoir de trouver des investisseurs. François Arago, astronome de renom et membre de l’assemblée législative française, figure parmi les admirateurs les plus enthousiastes de ce nouvel art. Il se fait le champion de Daguerre à l’Académie des Sciences et à la Chambre des Députés, assurant à l’inventeur une pension à vie en échange des droits sur son procédé. Ce n’est que le 19 août 1839 que le procédé révolutionnaire est expliqué, étape par étape, devant une séance commune de l’Académie des Sciences et de l’Académie des Beaux-Arts, avec une foule de spectateurs impatients qui débordent dans la cour extérieure.

Le procédé révélé ce jour-là semblait magique. Chaque daguerréotype est une image photographique unique, remarquablement détaillée, réalisée sur une feuille de cuivre argenté hautement polie, sensibilisée aux vapeurs d’iode, exposée dans une grande chambre photographique, développée dans des vapeurs de mercure et stabilisée (ou fixée) avec de l’eau salée ou de l' »hypo » (thiosulfate de sodium). Bien que Daguerre ait été tenu de révéler, de démontrer et de publier des instructions détaillées sur le procédé, il a sagement conservé le brevet sur l’équipement nécessaire à la pratique de ce nouvel art.

Dès sa naissance, la photographie avait un double caractère – en tant que moyen d’expression artistique et outil scientifique puissant – et Daguerre a promu son invention sur les deux fronts. Plusieurs de ses premières plaques étaient des natures mortes composées de moulages en plâtre d’après des sculptures antiques – un sujet idéal puisque les moulages blancs réfléchissaient bien la lumière, étaient immobiles pendant les longues expositions et conféraient, par association, l’aura de l' »art » aux images réalisées par des moyens mécaniques. Mais il a également photographié un arrangement de coquillages et de fossiles avec la même attention, et a utilisé ce support à d’autres fins scientifiques. Le journaliste Hippolyte Gaucheraud, dans un scoop paru la veille de la première présentation des daguerréotypes à l’Académie des sciences, écrit qu’on lui a montré l’image d’une araignée morte photographiée à travers un microscope solaire : « On pourrait étudier son anatomie avec ou sans loupe, comme dans la nature ; [il n’y a] pas un filament, pas un conduit, si ténu soit-il, qu’on ne puisse suivre et examiner. » Même Arago, directeur de l’Observatoire de Paris, aurait été surpris par une image daguerrienne de la lune.

Ni les daguerréotypes microscopiques ni les daguerréotypes télescopiques de Daguerre ne survivent, car le 8 mars 1839, le Diorama – et avec lui le laboratoire de Daguerre – brûle, détruisant les archives écrites de l’inventeur et la majeure partie de ses premiers travaux expérimentaux. En fait, il reste moins de vingt-cinq photographies de Daguerre attribuées avec certitude – une poignée de natures mortes, de vues de Paris et de portraits datant de l’aube de la photographie.